Interviews

Une agence, un jour : McCann Lisbonne

Mc Cann Lisbonne fait partie de l’histoire de l’univers publicitaire portugais : fondée en 1927, elle est la plus vieille agence du Portugal. Pas étonnant que José Marquès (Creative Director – à gauche) et Filipe Moreira (Chief Strategy Officer) soient des interlocuteurs privilégiés pour exprimer comment il est possible d’adapter des messages dans des contextes particulièrement mouvementés. Mc Cann Lisbonne a relevé ces défis en jouant la carte de la vérité.

A quand remonte l’histoire de McCann Lisbonne ?
McCann a racheté en 1927 une petite agence privée afin d’ouvrir une succursale au Portugal. Depuis cette date, McCann Lisboa n’a jamais cessé de croître, jusqu’à la fin des années 90 où nous étions la plus grande agence du pays avec près de 140 employés. Par la suite, nous avons perdu des clients importants jusqu’en 2008, date à laquelle l’agence s’est restructurée pour repartir sur de nouvelles bases. Nous sommes restés fidèles au slogan de McCann, Truth Well Told, et nous n’avons jamais cherché à dissimuler nos problèmes lorsque nous passions par des moments difficiles. Il est toujours essentiel de dire la vérité par rapport à ces questions. Il en va de même lorsque nous travaillons sur l’image ou parlons des expériences liées à une marque. Nous parlons de « transformational truth ». Cette année a été charnière, car l’arrivée de notre nouveau CEO a redynamisé l’agence. En moins de six mois, l’ambiance a totalement changé et cela nous a rapidement permis de drainer de nouveaux clients, notamment des mandats dans l’agro-alimentaire ou l’humanitaire, en plus de notre longue tradition de collaboration avec des institutions portugaises telles que Caixa Geral de Depositos, la compagnie aérienne TAP ou la chaîne de supermarchés Jumbo.

Le Portugal a été particulièrement frappé par la crise, comment êtes-vous parvenus à gérer cette situation ?
On ne sort pas d’une crise en suivant des tactiques, il est surtout nécessaire de s’adapter. Il a fallu quelques années avant de comprendre exactement ce qui se passait. En fait, il fallait parler de tout cela sans aucune gêne, et également contrebalancer les discours journalistiques souvent extrêmement négatifs. Il s’agissait d’être perspicace pour ressortir les aspects positifs de cette situation, de montrer les capacités d’adaptation, les nouveaux comportements, etc. Au quotidien, cette crise a profondément changé nos manières de vivre : il est essentiel que les agences réussissent à adopter un positionnement qui réponde à cette situation, à sortir de leurs routines, à trouver des manières inédites de communiquer, et de penser en terme de coûts minimums. Il nous a fallu comprendre et respecter la manière de vivre des gens. Il est impossible d’actionner les mêmes ressorts qu’au milieu des années 1990 ou 2000, aussi bien en terme de contenus que de moyens de production. La plupart des marques ont réduit leur budget de communication au minimum. Ce n’est pas nécessairement parce qu’elles perdent de l’argent, mais le public ne trouve pas correct de dépenser autant d’argent dans quelque chose d’aussi éphémère. Nous sommes très attachés à communiquer en accord avec l’état d’esprit ambiant. Il nous faut nous détacher de cette idée de crise, c’est le seul moyen de créer des choses de qualité. Mais cela n’empêche pas de faire de la qualité et de l’efficacité. Il faut juste utiliser à bon escient tous les petits « trucs » à notre disposition.

À ce titre, vous avez récemment été remarqués grâce à des campagnes très populaires pour TAP, Nobre ou la banque Caixa Geral de Depositos. Pouvez-vous les présenter ?
Nobre signifie noble en portugais et, de manière générale, la marque fait partie du paysage et jouit d’une bonne réputation populaire. Nous avons donc tenté d’étendre cette idée de noblesse en jouant sur la mentalité portugaise. Pour le lancement d’un nouveau jambon, dont la recette n’avait pas été dévoilée pendant des années, nous avons axé la campagne sur le plus vieil employé de la compagnie, engagé en 1950. À travers cet hommage assez personnalisé, nous posions des questions plus larges sur ce que recouvre l’idée de partage à l’heure des médias sociaux. La campagne fait référence avec humour à d’autres vidéos qui sont devenues virales. L’employé pose des questions sur le sens du partage aujourd’hui quand on reposte une vidéo de Harlem Shake. Notre idée était que chaque personne qui partagerait la campagne recevrait chaque fois 100 g de jambon. Cela n’a pas tardé à devenir viral et 6 tonnes de nourritures ont ainsi été distribuées en l’espace d’un mois. Pour chaque partage, nous fournissions également de la nourriture à des institutions d’aide au sans-abri. À partir de cette idée de noblesse, nous avons réussi à faire comprendre cette idée de partage entre les réseaux sociaux et le monde réel.

Le poids de la tradition est quelque chose de particulièrement important au Portugal…
Le Portugal est très attaché à son passé et je ne pense pas qu’il soit sorti quelque chose de glamour du pays au cours des 1000 dernières années ! Nous vivons dans une sorte de nostalgie perpétuelle et c’est indispensable pour des marques comme celles-ci d’investir ce terrain. C’est une marque classique, qui a marqué plusieurs générations. Cependant, il est aussi indispensable de créer des ponts avec le présent.

Qu’en est-il de votre campagne pour Caixa Geral de Depositos ?
Le problème dans ce cas était qu’il s’agit d’une banque nationale et, de manière générale, les gens sont particulièrement en colère envers le gouvernement. Afin de protéger la marque, qui possède 4 millions de clients sur une population de 10 millions d’habitants, il nous fallait donc la dissocier en quelque sorte du gouvernement. Lorsque nous avons rencontré les dirigeants, nous leur avons demandé : Êtes-vous plutôt la banque de l’Etat ou la banque du peuple ? Cette simple question a totalement changé la règle du jeu car, de manière assez logique, ils se sont positionnés du côté du peuple. C’est exactement ce que l’on entend lorsqu’on parle de « transformational truth ». Nous sommes partis de ce principe pour délivrer un message émotionnel et solidaire qui insiste sur le fait que, tous ensemble, il était possible de changer l’état d’esprit du pays, de le remettre sur pied – la banque restant un élément essentiel de ce changement. À l’heure actuelle, au vu du chômage endémique, les gens sont obligés de réinventer leur carrière, de prendre des décisions cruciales dans leur vie. Leur univers est complètement sans dessus dessous et nous voulions mettre en exergue ce moment charnière, notamment par un spot insistant sur l’importance de tirer tous à la même corde.

Vous avez également réalisé une campagne incroyable pour TAP à partir de la vidéo des consignes de sécurité ?
Notre relation avec TAP a commencé il y a 27 ans, c’est notre plus ancien client. Pourtant, c’est la première fois qu’ils nous demandaient de produire une vidéo destinée à présenter les consignes de sécurité, un type de mandats généralement réalisé à l’interne. Nous avons profité de cette occasion pour étendre notre stratégie de communication. Le slogan de TAP est: « Arms Wide Open », l’idée étant que la compagnie doit s’ouvrir au monde. Notre concept pour réaliser cette vidéo de sécurité reposait donc sur cette question d’ouverture et de bon accueil. Ceci est d’autant plus important que les principaux marchés sont le Brésil, l’Angola et les autres Etats lusophones d’Afrique. Un projet a priori contraignant s’est transformé en une aventure très excitante. Nous avons décidé de travailler directement avec des passagers qui, en contrepartie d’un rabais sur leurs prochains voyages, ont accepté de jouer dans la vidéo. Nous avions un petit hangar aux abords de l’aéroport et, grâce à un très bon travail de direction artistique, nous sommes parvenus à faire une vidéo de sécurité extrêmement populaire. En quelques jours, nous avions déjà près d’un demi-million de vues sur YouTube ! C’était juste incroyable. Tout d’un coup, nous communiquions pour la marque à l’aide d’un canal qui est généralement une contrainte, puisque les textes sont imposés à la virgule près.

Quel bilan tirez-vous de ces diverses expériences ?
Tout ce travail a été créé au cours des 6 derniers mois, un tournant dans l’agence. Notre situation financière est plutôt réjouissante et nous parvenons à produire des idées extrêmement créatives malgré les conditions particulièrement spéciales qui nous sont imposées. Cela nous donne une grosse confiance pour aborder de nouveaux clients, pour créer des campagnes encore plus pointues. C’est quelque chose d’important étant donné que le marché s’est énormément fragmenté : il y a beaucoup de petites agences, beaucoup plus agiles et indépendantes.

Comment se passent vos relations avec les autres pays lusophones ?
Nous avons quelques clients angolais historiques, notamment dans l’industrie du luxe. Nous travaillons à distance et ce n’est pas toujours facile de conserver un réel dynamisme. Si, à l’avenir, McCann devait ouvrir une agence en Angola, il est certain que nous aurions une certaine responsabilité, mais pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour. Dans le même temps, nous sommes obligés d’être très conscients des attentes et des sensibilités en provenance du Brésil ou de l’Angola, car ces pays sont devenus des interlocuteurs commerciaux de première importance. C’est quelque chose de particulièrement évident avec TAP, mais cela est de plus en plus marqué dans d’autres secteurs.

Et qu’en est-il du Brésil plus spécifiquement…?
Nous avons des relations particulières avec le Brésil, notamment via l’agence McCann São Paulo. Il nous arrive fréquemment de partager des mandats, voire de participer à l’élaboration de campagnes. Il n’y a pas si longtemps, la plupart des agences au Portugal travaillaient avec des directeurs artistiques brésiliens ; pour la plupart ils sont retournés au pays. Mais nous tendons à donner toujours plus de place à ces collaborations afin de créer de nouvelles visions, de nouvelles idées, de nouvelles manières de considérer une marque. Il est certain que, compte tenu des marchés énormes, leur expertise nous est d’une grande utilité. Dans le même temps, cette connaissance est également utile pour les jeunes créatifs qui s’exilent pour lancer leur carrière. Ils sont assez flexibles pour tenter leur chance à l’étranger et certains sont devenus extrêmement renommés ces dernières années, au Brésil, mais également à Amsterdam, en France, à São Paulo, New York, etc. Ce phénomène prend ses racines dans la très forte culture qui s’est développée à partir des années 90, lorsque beaucoup de jeunes créatifs ont pu suivre des formations dans les meilleures écoles. Mais c’est vrai que les acteurs talentueux ont tendance à partir.

Comment envisagez-vous l’avenir ?
Nous sommes passés par des moments très difficiles, mais nous sommes parvenus à nous repositionner. Tout cela nous a rendus plus forts et ça se ressent dans l’ambiance qui règne à l’agence et dans les relations que nous entretenons avec nos clients. On ne ressent plus les mêmes angoisses, le même stress. Nous partageons un état d’esprit : tout est possible, pour autant que l’on sache prendre le bon côté des choses. C’est essentiel de se sentir impliqués, de croire en ce que nous faisons : seule manière d’aller de l’avant, nous pouvons ainsi être convaincants envers nos clients et, surtout, avoir du plaisir dans notre travail ! C’est pour cette raison que nous essayons de toujours dire la vérité.

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